projet
Titre du projet : Bilinguisme, double culture, littératures (no. 451/17.02.2010)
Équipe de recherche : le Département d’Études
Françaises et Francophones (Université « Lucian Blaga » de Sibiu) et le C.T.E.L.
(Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature,
Université de Nice Sophia Antipolis).
Durée prévue du projet : 2009 - 2011
Axes de recherche :
Le projet s’articule autour de quatre axes majeurs :
1. le bilinguisme littéraire et le dialogue interculturel
2. le bilinguisme littéraire, la traduction et l’autotraduction
3. la poésie et la langue de l’autre
4. perspectives théoriques sur le bilinguisme littéraire
Descriptif :
Le projet se donne comme objectif d’éclairer la dimension littéraire du phénomène du bilinguisme et de la mettre en rapport avec un dialogue entre les cultures et les langues. Il vise également à cerner les notions opératoires dans le champ du bilinguisme littéraire et à proposer des constructions théoriques dans ce sens.
Le projet veut
mettre en lumière, sous l’angle du bilinguisme, le dialogue qui
s’établit entre la littérature française et la littérature roumaine,
mais sa démarche comparatiste s’ouvre aussi vers d’autres bilinguismes
littéraires et vers leurs spécificités en rapport avec le bilinguisme
roumain-français (le bilinguisme grec-français, anglais-français,
arabe-français, allemand-français, roumain-allemand).
L’objectif du projet est celui de créer le cadre d’une réflexion théorique et d’une pratique du dialogue en contexte européen et mondial, à partir du modèle de la création littéraire.
Notre projet garde une ouverture vers l’apport des sciences humaines
sur la question du bilinguisme et son souci de transdisciplinarité est
réel, mais son domaine de recherche est un domaine particulier : celui
de la dimension littéraire du bilinguisme.
Notre travail d’analyse vise
à déterminer les caractéristiques du travail d’écriture que déclenche
une situation de bilinguisme : confrontation à une langue étrangère,
problématique de la traduction et de l’auto-traduction, glissements
syntaxiques et créations lexicales dans le cadre des différents
transferts linguistiques. Il s’agit de repenser le rapport entre la
littérature et la langue/les langues et d’envisager le bilinguisme
comme un élément déclencheur /inhibiteur de la création littéraire. Il
s’agit de retrouver et de repenser les forces enfouies de la
différence maintenue et perpétuellement transgressée, de la différence
des langues et des cultures réunies dans la réalité du bilinguisme.
La présence d’une « autre » langue fournit la condition
nécessaire, selon Barthes, pour toute écriture : la confrontation entre
l’écrivain et le langage. La langue d’origine, « la langue
paternelle », est un héritage imposé, auquel Barthes oppose le choix,
la liberté, l’affirmation de soi qu’implique le fait d’aller vers une
autre langue et de s’installer, par le biais de l’écriture, dans ses
horizons de création.
Dans la conception de Gilles Deleuze, l’expérience du bilinguisme
littéraire est tellement bénéfique et riche, que le philosophe propose
son extrapolation au sein d’une même langue :
Le bilinguisme, dans le cas des créateurs de littérature, est un
dynamisme, un trouble, une déchirure, une attitude inquiète devant la
matière langagière. C’est le lieu d’un dédoublement, car il s’agit bien
de « parler dans sa langue à soi comme un étranger ». Le bilinguisme
littéraire est l’expression d’un élan libérateur que le rapport à « la
langue étrangère » introduit dans le système des relations langagières
de l’individu. Le bilinguisme littéraire est un processus de création,
car il s’appuie sur un état d’exil, ou bien, pour reprendre le
vocabulaire deleuzien, sur une « déterritorialisation », ce qui lui
permet de déboucher sur un ailleurs, sur le nouveau.
L’originalité de notre projet consiste dans l’approche de la notion de
« bilinguisme » en termes de « processus de création littéraire » et
non pas en termes d’ « aptitude linguistique », de « compétence
linguistique », de « diglossie », d’ « identité nationale »,
d’ « identité ethnique » ou autre. Le titre Bilinguisme, double
culture, littératures renvoie d’ailleurs à l’originalité de cette
démarche. Le choix du pluriel « littératures » est censé rendre la
multitude et la diversité des constructions littéraires que déclenche
l’action créatrice du bilinguisme. Le bilinguisme littéraire
roumain-français est, par exemple, une question de littérature
roumaine, une question de littérature française, une question de
littéraire comparée, mais aussi une question de littérature européenne.
C’est aussi un cas de littérature inclassable, étant donné le fait que,
pour plusieurs auteurs, il s’agit d’une création qui s’est développée
en marge de la littérature du pays d’accueil et loin de la littérature
du pays d’origine. L’originalité de notre approche vient aussi de son
option pour un type particulier d’interdisciplinarité : double culture
– littératures.
Les disciplines littéraires (littératures) interrogent
la dimension culturelle, anthropologique des textes du corpus, de même
que les conséquences sociales et politiques de leurs frontières et de
leurs dialogues (double culture).
Méthodologie et notions-clés :
La perspective de travail et la méthodologie de recherche sont, elles aussi, novatrices, car les investigations portent sur un aspect particulier : la dimension créatrice du bilinguisme littéraire, et les instruments de travail relèvent d’une haute transdisciplinarité : comparatisme littéraire, pratique et théorie de la traduction, poétique et herméneutique des textes, lexicologie, anthropologie et philosophie culturelle.
Nous nous proposons d’explorer et de baliser l’espace littéraire de l’intertexte franco-roumain issu du bilinguisme et de confronter son exemple avec les effets littéraires d’autres bilinguismes (roumain-anglais, français-anglais, français-arabe, roumain-allemand). Cela revient à constituer une poétique/éthique littéraire, qui va dans le sens de « l’hospitalité des langues » dont parle Paul Ricoeur, tout en notant les nuances particulières de cette relation, tel qu’elles sont dévoilées par les différentes analyses de cas. Les notions de « mémoire », « identité », « hospitalité langagière », « sujet » (« soi-même comme un autre »), « traduction », « dialogue » se retrouvent dans l’équation du bilinguisme littéraire que nous essayons de formuler et de résoudre.
Notre démarche de recherche commune compte d’ailleurs vérifier le
caractère opératoire d’un certain nombre de notions et concepts dans le
contexte du bilinguisme littéraire. Ce sont des notions comme « la
xénoglossie », « la diglossie », « la bilingualité », « le sur-dialecte
bilingue », « le bilinguisme interne », « l’alternance codique », « le
bilinguisme », «l’ hétérolinguisme », «le multilinguisme », « le
plurilinguisme », « le métissage linguistique », « l’exil langagier »,
« l’hospitalité langagière », « l’interaction des
langues »,« l’exotopie », « le déplacement », « la
déterritorialisation », la « Migrantenliteratur », « l’immigration
linguistique », « la traduction », « l’autotraduction » que le discours
critique et théorique sur le bilinguisme a déjà proposées sous une
forme ou une autre ou bien, que les études menées dans le cadre du
projet Bilinguisme, double culture, littératures ont mises en avant au
terme de leurs analyses.
Une partie importante du travail de notre équipe internationale consiste dans l’élaboration d’un Dictionnaire littéraire du bilinguisme, comprenant les notions clés du domaine et des entrées dédiées à plusieurs écrivains bilingues.
Conclusions :
Le principe de coopération scientifique mis
en place par ce projet a comme effet la présence du bilinguisme, de la
double culture et du dialogue interculturel au sein même de l’équipe et
non pas seulement au niveau de l’objet d’étude. Cette dimension de
notre travail qui met en avant la collaboration entre des centres de
recherches distincts marque aussi une évolution au niveau des
politiques et de l’éthique de recherche européennes.
Ce projet en partenariat scientifique entre le C.T.E.L. (Nice) et le D.E.F.F. (Sibiu) est un travail de recherche intégré dans la vie universitaire et dans l’actualité littéraire, car, d’une part, il s’appuie sur les efforts des enseignants-chercheurs, mais aussi sur les contributions des étudiants-chercheurs (niveau Master et Doctorat) rattachés aux centres et, d’autre part, il vise un corpus d’auteurs consacrés, mais aussi le cas des auteurs bilingues contemporains, qui seront invités pour des lectures et des tables rondes autour de leur création littéraire.
Bilinguisme, double culture, littératures est un projet qui répond aux
horizons d’attente du monde contemporain, car il met en avant des
notions et des valeurs telles le dialogue, la différence et l’unité
dans la diversité. Sa problématique est profondément européenne, tout
en gardant une ouverture permanente vers les autres cultures. Nous
rappelons la formule de Claude Hagège sur la question du bilinguisme :
Pour conclure, nous transposons son interrogation dans le contexte de
l’art de la parole et de l’écrit et nous la paraphrasons, en préservant
sa tournure rhétorique, tel qui suit :
Comment refuser de donner aux
lecteurs ce surcroît d’humanité qui fait tout l’enchantement d’une
littérature à deux langues ?
Corpus :
Dans le contexte des autres recherches sur le bilinguisme littéraire, ce que notre projet apporte de neuf c’est, avant tout, le choix d’un corpus singulier: un corpus littéraire franco-roumain, insuffisamment étudié jusqu’à présent dans la perspective du bilinguisme et de la double culture.
Le corpus principal est constitué par des textes appartenant aux auteurs roumains de langue française : Iulia Haşdeu, Hélène Vacaresco, Marthe Bibesco, Benjamin Fondane, Ilarie Voronca, Tristan Tzara, Mircea Eliade, E.M. Cioran, Eugène Ionesco, Vintilă Horia, Constantin Virgil Gheorghiu, Gherasim Luca, Panait Istrati, Isidor Isou, Théodore Cazaban, Dumitru Tsepeneag, Bujor Nedelcovici, Paul Goma, Geogres Astaloş, Matei Vişniec, auxquels s’ajoutent les exemples d’autres auteurs bilingues comme Alexandros Papadiamantis, Samuel Beckett, Vladimir Nabokov, Assia Djebar, Tahar Ben Jelloun, Boualem Sansal, Anne Weber, Herta Müller. Seront également pris en compte des auteurs québécois et canadiens: Hubert Aquin, Gaston Miron, Dai Sijie, Sergio Kokis, Gail Scott.
Responsables du projet :
Béatrice BONHOMME, directrice du C.T.E.L., Professeur à l'Université de Nice Sophia-Antipolis ; ctel@unice.fr ;
Cristina PIRVU, co-directrice du projet, Université de Nice Sophia-Antipolis ; pirvu@unice.fr ;
Mircea ARDELEANU, directeur du Département d'Etudes Françaises et
Francophones, Professeur à l'Université « Lucian
Blaga » de Sibiu, Roumanie ; ardeleanumircea@zappmobile.ro ;
Dumitra BARON, co-directrice du projet, Maître-assistante à
l'Université « Lucian Blaga » de Sibiu, Roumanie ;
dumitra.baron@ulbsibiu.ro.